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François de Roubaix : Dernier Domicile Connu
dimanche 27 octobre 2013, par
Pour moi, l’histoire a
commencé il y a un bail maintenant, dans la salle de classe de mon
professeur de dessin, en 1982. Il jouait des vinyles sur un
électrophone pendant son cours, et parmi les musiques entendues,
deux me plongeaient dans des abîmes d’émotion, alors que se
déroulait lentement mon adolescence tristounette. Le premier thème
était A l’aube du cinquième jour de Ennio Morricone,
son irréel air au piano, désuet, mélancolique. L’autre, avec ses
notes singulières, comme issues d’un limonaire, ponctuée de bruits
de ressorts, m’a hanté pendant des années. J’ai appris plus tard
qu’il s’agissait du morceau Xavier à la maison d’arrêt, extrait
de la bande originale de La Scoumoune. Le monsieur qui l’avait
composée s’appelle François de Roubaix. Et il était mort sept ans
auparavant.
Une musique qui vous
hante, créée par un compositeur qui n’est plus là : cela fleure
bon les histoires de fantômes, bienveillants naturellement, et à la
vue du documentaire réalisé par Patricia de Roubaix consacré à
son papa, je me rends compte de ne pas être le seul que cette
mélodie a fait vibrer.
C’est sur le bluray des Aventuriers, grand et beau film triste de Robert Enrico, dont François de Roubaix a composé la musique, que se niche francoisderoubaix.fan, l’hommage d’une fille à un père qu’elle a finalement peu connu. Hommage ? Le spectateur est-il en droit de redouter une hagiographie à l’américaine, avec ses deux rejetons larmoiements et dithyrambes ? Erreur ! L’artiste était un être solaire, heureux de vivre, passionné de plongée sous-marine... Ses expérimentations musicales étaient une ode à la découverte du monde et des ses habitants. Alors, pas le temps de pleurnicher, car il y a toujours un avion à prendre, un port où embarquer. Une mélodie à écrire, un ami à consoler.
Dans un appartement
parisien aux murs décorés de disques de l’artiste, défilent
plusieurs personnes, anonymes, accueillies par le jovial « Bonjour
! » de Patricia, tel une amicale ponctuation. Ces gens ont une
relation particulière avec l’artiste : certains le voient en ami,
d’autres le vénèrent, tous le respectent. L’émotion touche au
sublime à certains moments (l’évocation de la Cérémonie des
Césars en 1976, où le père de François de Roubaix est venu
chercher le prix de la meilleur musique pour son fils, est
particulièrement forte) mais le piège de la facilité est
soigneusement évité. L’humour est toujours sous-jacent, porté par
la musique riche et désarmante du compositeur. On se souviendra
longtemps du fan particulièrement stakhanoviste ayant collecté
pendant des années les artefacts du film Les Aventuriers,
avouant avec bonhomie « avoir été traumatisé étant
jeune ». De l’archéologie au service de la musique de film
? Pourquoi pas, chaque passion est importante à vivre !
Les heures passent, les
invités défilent, toujours de bonne humeur, toujours avec le
sourire, comme heureux d’être là. On nage dans cette délicieuse
spécificité française consistant à « refaire le monde »,
à apprivoiser les mythes, les tutoyer. On imagine le portrait
bref (moins de vingt minutes) tourné un samedi après-midi. Aux
fenêtres, la lumière décroît, bientôt il fait nuit.
Les témoignages vont
bon train, jamais confus. Un musicien joue l’air de La Scoumoune
à la guitare. Les notes précieuses résonnent, immaculées. Tout le
monde applaudit. Un metteur en scène de théâtre évoque le
spectacle qu’il a monté sur la musique de l’artiste. D’autres font
découvrir le livre-somme qu’ils ont consacré à la carrière de De
Roubaix, un trésor inestimable sans doute devenu introuvable depuis. Les
derniers fans montrent des cartes postales et des gravures réalisées
en mémoire du compositeur. La caméra virevolte, douée de
vie. Est-ce le fantôme joyeux de François de Roubaix qui s’invite,
libre et aérien, comme dans cette pièce en rotonde où le musicien
avait son studio, rue de Courcelles à Paris, lieu d’expérimentations
sonores où les potes venaient taper le bœuf ?
Bien vu, Patricia :
l’héritage a été transmis, et haut la main. Toutes les personnes que nous
venons de rencontrer ont, à des degrés divers, bâti quelque chose
en rapport avec ton père. L’art engendrant la créativité, la
musique provoquant les rencontres, l’émotion traversant les
générations... on y est.
François de Roubaix, l’artiste devenu mythique, n’ayant « pas laissé d’ardoise », s’est une fois encore réinventé.