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Le Pub Satori à la Tranche sur Mer
mardi 26 mars 2013, par
« Boîte de nuit, boîte d’ennui » avait coutume de dire un ancien
ami qui n’en ratait pas une. Et à quelques raretés près, l’adage lapidaire s’est
pour moi vérifié à chaque fois : le démonte-pneu pour accéder à la piste,
le démonte-pneu pour accéder au bar, et je n’évoque même pas la musique, du
ronge-tête au kilomètre. Pourtant, il y a eu des exceptions, et alors que je
viens d’entendre « Harley Davidson »
chantée par Bardot, je revois ce lieu qui représentait pour nous, petits provinciaux
de la côte, un Eden de poche, bien caché dans un blockhaus désaffecté : le
Pub Satori. C’était il y a bien
longtemps.
Monté par une équipe de
noctambules de Rennes exilés pour l’été à la Grière (dans une zone pavillonnaire
relativement aisée au sud de la Tranche sur Mer, en Vendée), le lieu n’attaquait
pas le même segment de marché que les autres night-clubs du coin, night-clubs dont
l’évocation même des noms m’ennuie (ceux qui liront cet article sauront certainement
les identifier, inutile que je me tue à la tâche). Le Pub Satori était présenté aux novices comme la boîte des surfeurs
du coin, locaux ou touristes, le club privé par excellence, le Graal du cool et
de la nonchalance blonde et bronzée : bon, j’exagère un peu, on le voyait
comme ça à l’époque, il n’était pas nécessaire de montrer patte blanche non
plus ; cela dit, l’exiguïté du lieu n’aurait pas toléré un afflux de
masse, alors on aimait bien, entre habitués, en parler à mots couverts, entre
membres de la fratrie, sur le ton de la confidence comme en évoquant la première
cigarette fumée, ou la première capote trouvée sous la véranda.
Aller au Pub Satori, c’était entrer dans la légende, celle qui hantait ses
murs où se trouvaient clouées des planches de surf : on raconte qu’Etienne
Daho en était le parrain, qu’il y avait ses habitudes, qu’il débarquerait
peut-être ce soir, demain, ou hier… Je ne l‘y ai jamais vu, par contre j’ai vu
un concert génial devant cette boîte, le groupe de ouf « Sepia Seca », hurluberlus déguisés et grimés jouant une sorte
de groove mâtiné de rock empruntant aux légendes du Roi Arthur, de Godzilla et
de Roudoudou réunis, à James Brown, aux Satellites et à la Malka Family également, il faut de
tout pour faire un monde métissé qui soit enfin un peu plus vivable.
Le Pub Satori, c’était un style, une hype on l’a vu, un vieux blockhaus décoré aussi, ce qui, avec Audi
et Rammstein, est ce que les teutons ont laissé de mieux en ce pays... Mais c’était
également et surtout un son, une mosaïque musicale qui ventilait l’air confiné
et méphitique du Top 50 de la fin des années 80. Au sein de ces gros murs
protecteurs, sous l’œil embué d’un DJ psychotronique, nulle Manif Pour Tous nauséabonde, pas d’extrémisme
ni de racaille : nos heures d’été étaient vouées aux rencontres, au clash de
galaxies, quand Kiss de Prince
précédait Salut à Toi de Bérurier
Noir, quand Tainted Love de Soft
Cell, accouplé sensuellement à sa suite orgasmique Where did our love go dans
une version orgiaque de neuf minutes, s’entremêlait à un trépidant It’s a Beautiful Day des Beach Boys
fleurant bon la Californie éternelle chère à Brian Wilson, celle des filles et
du surf, pas celle des flingues et du crack. Et puis, de toute façon… une boîte
qui ne passe pas de slows mais qui envoie à la place Faron
Young de Prefab Sprout ou Psyché Rock
de Pierre Henry ne peut pas être tout à fait mauvaise. Et peu
importe que la play-list change rarement et qu’à la fin de l’été, on la connaisse
par cœur : on s’en foutait, le web et les iPod n’existaient pas et le fait
d’être là et d’entendre ça nous emplissait tant et plus. Nous
étions repus et nous le savions. Jamais d’embrouille, ni de bagarre : le respect, toujours, quelque part.
On buvait, on avait encore le
droit de fumer à l’intérieur, et on pouvait même se payer le luxe de rentrer en
vélo ou à pied avant de reprendre le boulot saisonnier du lendemain matin,
avec parfois un léger détour par les dunes, seul ou accompagné, et votre
serviteur garde ici le souvenir ému d’une gentille petite estivante brune à
lunettes dont la douceur intime et les seins tendres et blancs représentaient,
aux petites heures du matin orangé et sous la lente complainte des vagues, la
plus belle des victoires contre la guerre, contre la haine… contre la mort. Le Pub Satori, grâce à sa population totale mixte, était une clé vers la vie, et
rien ne semblait devoir se flétrir ou disparaître sous la lueur énigmatique de ses éclairages
bariolés.
Sauf que un beau jour,
évidemment, il a bien fallu déménager, quitter ce quartier résidentiel et l’été
1989 a vu mourir le Pub Satori version
plage (celui de Rennes est mort quelques années plus tard, lui) et a vu renaitre
de ses cendres le Ranch, quelques
kilomètres plus loin… L’ambiance est restée, dans un lieu plus grand, plus
vaste, une piste en contrebas, un parking où les clubbers des villes voisines pouvaient garer leur charrue pour
envahir l’espace. La fin d’une époque et le début d’une autre… J’ai quitté la
Tranche pour suivre ma famille trois mois plus tard. Je n’ai jamais revu l’endroit.
Autres temps, autres errances.
Ah si, tiens… Deux choses : je
suis allé il y a peu sur Google Earth et j’ai tenté de localiser le vieux
blockhaus aux allures de rhinocéros endormi ; rien vu, que dalle. Envolé.
Sinon, j’ai entendu Daho avant-hier, « Duel au Soleil ». C’est vraiment... une putain de grande chanson.
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