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A Serbian Film - Cauchemar, confusion, chaos

Et quant à celui qui scrute le fond de l’abysse, l’abysse le scrute à son tour (Friedrich Nietzsche)

mardi 21 août 2012, par Lutinbarjot


[Cet article dévoile des moments-clé de l'intrigue.]

Milos, ancien acteur porno serbe fauché, antipathique et négligé, se voit proposer une forte somme d'argent pour participer à un film X d'un genre nouveau, sans en connaître les détails. Pressé par Vukmir, le réalisateur, il accepte. Milos va désormais devoir payer de sa personne... et il ne sera pas le seul.

A Serbian Film a bénéficié en 2011 d'un important buzz internet qui le qualifiait alors de film le plus malsain depuis... Depuis quoi, au fait ? Irréversible et sa terrifiante plongée traumatique au cœur d'un fait divers comme il en arrive tous les week-ends ? Baise-Moi et son manifeste féministe d'un nihilisme absolu ? Cannibal Holocaust et ses horribles tueries réelles d'animaux innocents ? Salo ou les 120 journées de Sodome et son implacable démonstration graphique que tout pouvoir engendre la corruption, la perversion et l'abus ? Ou pourquoi pas le cruel documentaire Wadd sur le beau gosse hardeur John C. Holmes et ses 35 centimètres bien fournis, paumé drogué, mythomane, cogneur de femmes, délateur au FBI, témoin avéré (et participant ?) du terrible quadruple meurtre de Wonderland Avenue à Los Angeles, et qui conclut sa carrière en continuant à tourner sans préservatif alors qu'il se savait atteint du SIDA depuis des années ?

Ces œuvres, à des degrés divers, ont marqué leur temps et l'esprit des spectateurs autant par la violence de leur traitement que par la force de ce qu'elles pouvaient avoir à exprimer, dans des registres aussi différents que le pamphlet, l'expérimentation ou l'exploitation pure. ASF arrivait, lui, nanti d'une réputation énorme et de deux versions, une « adoucie » et l'autre uncut, non censurée - celle que l'auteur de ces quelques lignes vient de visionner. Alors ?

Le choc passé (il est rude), en se secouant un peu, on distingue deux parties dans ce film : la première, la plus réussie, d'environ une heure, distille efficacement un malaise pesant d'autant que la mise en scène, les décors, l'éclairage et l'interprétation (notamment Vukmir, le réalisateur, j'y reviendrai) y sont parfaitement maîtrisés, et offrent un cadre très professionnel en opposition assez flagrante avec ce que l'on attendrait d'un tel sujet. Applaudissons, dans la foulée, un casting de folie avec des seconds rôles comme rarement l'on a vu dans un long-métrage, casting à l'implication totale quand on découvre la seconde partie du film... là où les choses se gâtent, même si je n'arrive toujours pas à déterminer si l'angle adopté est intentionnel ou la conséquence d'une fuite en avant du projet dictée par d'autres impératifs.

Pour doper le rythme du récit qui s'installait dans une ambiance suggestive tétanisante fort réussie, la production le fait soudain décrocher et partir en vrille : s'enchaînent alors les séquences atroces toutes plus glauques les unes que les autres, le point de départ (!) en étant le viol d'un nouveau-né à peine sorti de l'utérus maternel, sous les hurlements de la misérable petite silhouette sanglante et le regard goguenard de la maman en sueur. Oui.

Syncopé, saturé d'images vidéo granuleuses et de techno industrielle débitée au kilomètre, le film se fait mordant, agressif, tel un clip cauchemardesque, un flash de mort. Milos, sous l'emprise d'un puissant aphrodisiaque - du Viagra pour taureaux - a commis des actes abominables avant de sombrer dans le coma et, une fois réveillé, se les remémore désormais un par un. Le grand-guignol est enfoncé mais la vitesse du montage et la cruauté des scènes parviennent à sauver le film du chaos. Le rendent-ils bon ? Autre débat.

Étonnant virage car la belle mise en abîme qui naissait au début (un film sur le tournage d'un film) aurait pu trouver pour assise les épaules solides du comédien qui interprète Vukmir, le réalisateur de ce fameux film X d'un genre nouveau. Un esthète qui ne jure que par l'art (amusant : « art » est l'un des mots qui revient le plus souvent dans les dialogues) et que l'on imagine volontiers tomber en pâmoison chez lui devant les œuvres de Eisenstein, Griffiths, Hitchcock, Welles... et certainement pas devant un porno. Élégant, charismatique, affable, magnifique Diable encore souriant d'avoir joué un tour pendable aux hommes en leur faisant oublier son existence, il incarne la détermination, l'aveuglement du metteur en scène perfectionniste refusant tout compromis mais également, comme on le découvrira, une sorte de victime lui-même, celle de l'instrumentalisation sans issue de la création artistique par des puissances obscures vouées à satisfaire une clientèle riche et dépravée. Eh oui... du snuff pour des bourgeois. C'était donc ça, le plan. Comme on le constate, malgré ses scènes-choc, ASF peine à innover.

Finalement, une fois le carnage terminé, qu'en restera-t-il ?

Pas facile à dire. À chaque interview, l'équipe du film se perd en justifications floues sur un éventuel propos politique contre le gouvernement serbe sans trouver pour cet argument d'étai véritable au sein de la structure du script, tout en glosant sur la scène infâme du nouveau-né (mais curieusement sans particulièrement s'attarder sur le nombre hallucinant de scènes de violence faite aux femmes). Un autre axe de réponse du scénariste est sa volonté d'arracher les spectateurs au tout-venant, de leur infliger un électrochoc salutaire, de les amener à se soulever contre le système, du moins dans l'esprit. Vaste programme, qui en vaut bien un autre dans un monde occidental envahi par le politiquement correct et où la tentation de la surenchère permanente est grande.

Est-ce à dire que le slogan des années soixante « Sexe, Drogue et Rock'n'Roll » s'avère désormais complètement caduque et que le nouveau credo révolutionnaire s'écrit « Porno, Addictions et Meurtre » ?

Si oui, les futurs rebelles ont du souci à se faire.

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