Journal du bout du monde n°14

Paea, le 5 juin 2006

Iaorana,

Stupéfaction, le n°13 date du 2 janvier ! 5 mois donc que je n’ai pas écrit. Ce n’est pas la matière qui m’a manqué, mais plutôt les bonnes nouvelles. Je n’en ai pas plus aujourd’hui qu’au cours de ce début d’année 2006, sauf que je suis en train de modifier mon « plan de carrière » et que cela mérite quelques éclaircissements.

Mais avant, un peu de politique bananière !
Voici tout d’abord un extrait d’un article paru il y a 2 mois : « Plusieurs formations politiques ont vivement réagi, mercredi, à l’annonce du remaniement ministériel décidé par le président de la Polynésie française, Oscar Temaru, et qui attribue trois portefeuilles à des élus qui, jusqu’à mercredi, faisaient partie de la plate-forme autonomiste (opposition). Le "Rautahi" se dit aujourd’hui "écoeuré", le Tahoeraa parle de "surenchère" et la représentante non-inscrite Nicole Bouteau (autonomiste associée aux indépendantistes) d’image "déplorable" de la classe politique polynésienne.
Il apparaît aujourd’hui que les convictions, les engagements et les signatures de certains élus autonomistes pouvaient être échangés contre des portefeuilles ministériels", Pour Nicole Bouteau "Il n’y a aucune éthique, aucune morale" »

Traduction : l’assemblée territoriale, le parlement local, est composée de 57 membres, soit un représentant pour 4400 habitants. Ils touchent au bas mot 11 000 EUR par mois chacun. Avant la dernière élection, l’ancien président, Gaston, avait changé la loi électorale pour s’octroyer une prime majoritaire et ainsi récupérer 80% des sièges pour les siens, en cas de victoire. C’est finalement Oscar l’indépendantiste qui a gagné, grâce à la prime majoritaire que Gaston avait mis en place pour devenir tout puissant. Ironie du sort !
Quoiqu’il en soit, nous avons aujourd’hui 29 membres de l’assemblée en bleu, partisans d’Oscar, et 28 en orange, partisans de Gaston. Et certains membres changent allègrement de camp, comme l’indique l’article ci-dessus. En fait, un petit nombre a quitté les 2 grandes formations et met sa voie aux enchères. Qu’ils soient indépendantistes ou autonomistes importe peu, il y en a d’ailleurs un qui a retourné sa veste 3 fois en une semaine ! L’article parle du rachat de 3 membres orange qui sont passé bleus contre des portefeuilles ministériels !

Imaginez le premier ministre proposer des postes de ministre aux parlementaires de l’opposition pour qu’ils votent pour lui, car il risque sinon de perdre la majorité absolue au parlement !
En fait, c’est même encore plus marrant que ça ; les 3 membres orange de l’assemblée territoriale nommés ministres bleus ne peuvent pas être à la fois ministre et voter à l’assemblée. Ils ont donc été remplacés à l’assemblée par leur suppléant. Le hic c’est que certains des suppléants n’ont pas voulu tourner leur veste et ont décidé de rester orange. Ce qui fait qu’un nouveau ministre a démissionné de son poste après un mois pour reprendre sa place à l’assemblée, car son suppléant ne voulait pas tourner sa veste…

Les électeurs dans tout cela me direz-vous ? Et bien certains regardent, écoeurés, et d’autres veulent devenir fonctionnaires pour toucher eux aussi !

Parlons maintenant un peu de la douceur du sauvage, puisque selon Voltaire les sauvages sont doux sous les tropiques. La grande différence avec l’Europe, c’est chez vous les sauvages mettent des costumes cravates, alors qu’ici c’est plutôt les chemises à fleurs et que tout est plus visible, car nous sommes moins nombreux !

Revenons en à leur douceur. Ma mère est venue passer 2 semaines en Polynésie, et lors d’un week-end à Moorea, celui du premier mai, il a fallu que je rentre sur Tahiti le lundi 1er mai pour aller travailler. J’ai donc décidé de me rendre au port en stop pour aller prendre le bateau, car je n’était pas sur que des bus circulaient ce jour là. Le premier à s’arrêter était un jeune popaa (un blanc. Popaa voulant dire brûlé !). Il se rendait chez un copain pour aller pêcher au fusil de bon matin. Il m’a donc avancé un peu. La deuxième personne était une tahitienne qui allait à récupérer chez une cousine la sœur de sa grand-mère venue en vacances à Tahiti. Cette grande tante vit en Nouvelle Calédonie où il y a une communauté tahitienne partie là-bas il y a quelques années pour trouver du travail. La troisième personne était un couple avec un bébé. Je suis monté à l’arrière de leur pick-up, et j’ai fait quelques kilomètres en leur compagnie, les cheveux aux vents. Enfin, mon dernier transport s’est fait avec un couple qui partait travailler dans leur resto situé dans l’aéroport. Ils ont eu la gentillesse de faire quelques kilomètres de plus pour m’amener jusqu’au port, qui se trouve plus loin que l’aéroport. Que de la gentillesse, très éloignée des combats politiques ubuesques.

Je me rendais ce 1er mai chez Polypress imprimerie. Une boîte dans laquelle j’ai travaillé un mois en vue du rachat. Nous avons eu cette fois l’accord de la banque, mais à condition de recevoir une contre garantie d’un organisme public. Le propriétaire n’a pas voulu attendre un délai d’un mois et demi supplémentaire ! C’était vendredi dernier ! Cette ultime tentative clôture pour moi une période de 2 ans pendant laquelle j’ai voulu racheter une boîte. Je commence à me faire une raison et à m’interroger sur l’après « tentatives de rachat ». Il me reste une dernière tentative dans les enseignes, l’option de créer quelque chose ici mais qui ne m’emballe guère, ou un boulot de salarier à Tahiti, pas très emballant non plus. Ou alors, je rentre en Europe. La seule excitation que j’y vois, au niveau professionnel, c’est l’inconnu et la possibilité de me retrouver n’importe où !

Je crois que je vais m’arrêter là aujourd’hui. J’aborder quelques situations plus folichonnes dans le n°15.

Aujourd’hui il fait encore et toujours 29 degrés, mais le temps est légèrement couvert, donc plus frais.

Nana,

Bertrand